Transparence des personnes morales et publicité des participations

Conséquences pratiques liées aux obligations d’annonce des actionnaires

Avocat commercial

Le présent article, rédigé par Me Olivier THEVOZ, porte sur les nouvelles obligations d’annonce, sur les règles en matière de transparence des détenteurs d’actions et de parts sociales découlant de la mise en œuvre des recommandations révisées du GAFI ainsi que sur les conséquences concrètes du non-respect de ces obligations.

L’article a été publié dans l’Expert Focus 2016/8, revue suisse pour l’audit, la fiscalité, la comptabilité et le conseil économique. Vous pouvez le télécharger en cliquant sur le lien : « Télécharger l’article ». Vous pouvez également accéder au site d’Expert Suisse en cliquant sur le lien suivant : « Expert Suisse »

1.    Rappel des nouvelles règles applicables

Le 1er juillet 2015 est entrée en vigueur la loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière, révisées en 2012[1]. Cette loi introduit notamment l’obligation d’annoncer le nom des actionnaires détenant des actions au porteur des sociétés suisses non cotées en bourse et l’identité des ayants droit économiques des actions et des parts sociales de participations qualifiées dans les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée suisses non cotées.

1.1  Obligation d’annoncer les détenteurs d’actions au porteur

La modification législative apporte de profonds changements dans les obligations des détenteurs d’actions au porteur de sociétés suisses non cotées en bourse. En effet, avant la modification législative, les détenteurs de telles actions pouvaient rester totalement anonymes, même envers la société émettrice des actions. Avec la nouvelle législation, toute personne physique ou morale qui acquiert des actions au porteur d’une société suisse non cotée en bourse doit dorénavant s’annoncer auprès de celle-ci dans un délai d’un mois en indiquant son nom et son prénom ou sa raison sociale ainsi que son adresse[2]. L’acquisition d’une seule action suffit à déclencher cette obligation d’annoncer[3]. Dans le cadre de cette annonce, l’actionnaire doit établir qu’il détient effectivement les actions[4] et prouver son identité au moyen d’une pièce de légitimation officielle pour les personnes physiques et d’un extrait du registre du commerce pour les personnes morales[5].

Le devoir d’annoncer impose également à l’actionnaire d’avertir la société de toute modification relative à son nom (ou sa raison sociale s’il s’agit d’une personne morale) ou à son adresse[6]. La loi ne prévoit pas de délai pour procéder à cette annonce. Cependant, le délai d’un mois fixé à l’alinéa 1 de l’art. 697i CO devrait a priori trouver application par analogie[7].

Une exception au devoir d’annonce est prévue pour le cas où le titre au porteur est émis sous la forme d’un titre intermédié[8] au sens de la loi sur les titres intermédiés.

Le détenteur peut être une personne physique ou morale (soit notamment, une société anonyme, une société offshore, un trust). Dans le cadre d’un contrat de fiducie portant sur la détention d’actions au porteur, le fiduciaire – et non le fiduciant – doit s’annoncer comme détenteur des actions. En effet, selon la jurisprudence, le fiduciaire est, sur le plan du droit civil suisse, considéré comme le propriétaire des biens ou des droits qui lui ont été transférés à titre fiduciaire[9]. Pour sa part, le fiduciant a une créance personnelle en restitution des biens propriété du fiduciaire[10]. Le fait que le fiduciaire détienne les actions pour le compte et aux risques du fiduciant ne change rien à la qualité de propriétaire du fiduciaire au regard du droit civil.

1.2  Obligation d’indiquer l’ayant droit économique

Si un actionnaire acquiert, seul ou de concert avec un tiers, des actions d’une société dont les titres ne sont pas cotés en bourse et dont la participation, à la suite de cette opération, atteint ou dépasse le seuil de 25% du capital-actions ou des voix, il est tenu d’informer la société, dans un délai d’un mois, de l’identité de l’ayant droit économique desdites actions[11].

L’alinéa 2 de l’article 697j CO prévoit que toute modification de l’ayant droit économique ou de ses coordonnées doit être communiquée à la société. Là encore, la loi ne prévoit pas de délai pour procéder à cette annonce. Cependant, le délai d’un mois fixé à l’alinéa 1 de cette disposition devrait trouver application par analogie.

Il est important de relever que cette obligation d’annoncer ne s’applique pas uniquement aux détenteurs d’actions au porteur mais également aux détenteurs d’actions nominatives[12].

Par ayant droit économique, on entend la personne physique qui se trouve « au bout de la chaîne de contrôle »[13]. Cela peut être l’actionnaire ou un tiers. Dans tous les cas, il ne peut s’agir que d’une personne physique. Ainsi, lorsqu’une société mère – basée en Suisse ou à l’étranger – acquiert une participation d’au moins 25 % d’une société fille suisse non cotée, elle doit communiquer – au mieux de ses connaissances – qui sont ses ayants droit économiques. La société mère a, selon nous, l’obligation de communiquer à la société fille uniquement les ayants droit économiques qui détiennent au moins 25 % de ses actions ou de ses voix[14].  Si elle se trouve dans l’impossibilité de respecter cette obligation d’annoncer – par exemple parce qu’un actionnaire refuse de collaborer -, elle devrait pouvoir éviter de perdre la faculté d’exercer ses droits sociaux et patrimoniaux (voir infra 2) auprès de la société fille en confirmant à cette dernière avoir d’ores et déjà suspendu les droits sociaux et patrimoniaux de l’actionnaire en question. Avec cette solution, seul l’actionnaire ayant violé ses devoirs d’annoncer est pénalisé et non les autres actionnaires de la société mère. A relever toutefois que pour les sociétés mères basées à l’étranger, à défaut de base légale applicable similaire dans leur droit interne, pourraient être dans l’impossibilité de suspendre les droits sociaux et patrimoniaux d’un actionnaire refusant de communiquer l’ayant droit économique des actions. Dans ce cas, elles ne pourraient satisfaire à leurs obligations légales d’annoncer et perdraient la faculté d’exercer leurs droits sociaux et patrimoniaux liés à leurs actions de la société fille (voir infra 2). Le cas échéant, l’éventuelle responsabilité civile de l’actionnaire fautif pour le dommage causé à la société mère, respectivement à ses actionnaires, pourrait se poser.

Dans le cadre d’un contrat de fiducie, le fiduciant – et non le fiduciaire – est l’ayant droit économique des actions. En effet, le fiduciaire ne détient les actions que pour le compte et aux risques du fiduciant (voir supra 1.1). Ainsi, le fiduciaire doit être annoncé comme le détenteur des actions et le fiduciant comme l’ayant droit économique de celles-ci.

S’il n’y a pas d’ayant droit économique (par exemple, lorsque l’actionnaire est une organisation d’utilité publique), l’actionnaire doit simplement annoncer ce fait à la société pour respecter son devoir d’annoncer.

1.3  Possibilité de déléguer le suivi des obligations d’annonces à un intermédiaire financier

L’assemblée générale de la société a la faculté de décider que les annonces de l’identité des actionnaires au porteur et des ayants droit économiques pour les participations égales ou supérieures à 25% du capital ou des droits de vote devront être faites non pas à la société mais à un intermédiaire financier au sens de la loi sur le blanchiment d’argent[15]. Dans cette hypothèse, le conseil d’administration désigne ledit intermédiaire et communique son identité aux actionnaires[16]. L’intermédiaire financier désigné est alors en charge de la tenue de la liste des détenteurs d’actions au porteur ainsi que de leurs ayants droit économiques. Il doit renseigner en tout temps la société sur les actions au porteur pour lesquelles les annonces prescrites ont été effectuées et la détention a été établie.

1.4  Tenue d’un registre des actions et d’une liste des ayants droit économiques

L’article 697l CO oblige les sociétés non cotées à tenir une liste des détenteurs d’actions au porteur et des ayants droit économiques annoncés et à conserver les pièces justificatives fournies à l’appui des annonces. Tant le registre des actions que la liste des ayants droit économiques doivent contenir le nom, le prénom (la raison sociale s’il s’agit d’une personne morale) et l’adresse des personnes qui y figurent. Il doit en outre être mentionné la nationalité et la date de naissance des détenteurs d’actions au porteur. Les pièces justificatives fournies par les actionnaires à l’appui de ces annonces doivent être conservées pendant dix ans après la radiation du propriétaire ou de l’usufruitier du registre des actions.

1.5  Pièces justificatives à fournir à l’appui des annonces

A l’appui des annonces obligatoires, l’actionnaire doit notamment établir par la production de l’action ou d’une copie de celle-ci qu’il en est le détenteur et s’identifier au moyen d’une pièce de légitimation (voir supra 1.1). Par contre, pour l’identification de l’ayant droit économique, le législateur n’a pas prévu la fourniture de pièces justificatives spécifiques. Seules les informations à fournir sont listées dans la loi (à savoir, le nom, le prénom et l’adresse de la personne physique concernée).

Etant donné que la société a une obligation de conservation des pièces justificatives à l’appui des annonces (voir supra 1.4), elle serait en droit, selon nous, d’exiger une déclaration écrite signée par l’actionnaire relative à l’ayant droit économique. Les sociétés peuvent s’inspirer du formulaire A mis à disposition des banques par l’ASB[17] pour établir leur formulaire type.

1.6  Accès au registre et à la liste

Au moins un administrateur ou un directeur domicilié en Suisse doit pouvoir représenter la société et avoir accès au registre et la liste des ayants droit[18]. Cette obligation ne trouve pas application si la liste des ayants droit économiques est tenue par un intermédiaire financier (voir supra 1.3).

1.7  Conversion facilitée des actions au porteur en actions nominatives

Afin de limiter l’existence des actions au porteur, le GAFI propose notamment comme solution de faciliter leur conversion en actions nominatives. Dans cette optique, le législateur suisse a facilité une telle conversion en adoptant l’article 704a CO. Ainsi, dorénavant, même si les statuts prévoient un autre quorum, un vote de l’assemblée générale pris à la majorité des voix exprimées suffit pour entériner la décision d’une telle conversion. A relever également qu’il n’est plus nécessaire que les statuts prévoient expressément la faculté de convertir des actions nominatives en actions au porteur[19].

1.8  Sociétés à responsabilité limitée

La législation suisse a également été modifiée concernant le droit des sociétés à responsabilité limitée. A titre liminaire, il faut rappeler que les sociétés à responsabilité limitée doivent tenir un registre de leurs parts sociales[20] et que les associés sont inscrits au registre du commerce, avec l’indication notamment de leur nom, de leur domicile et de leur lieu d’origine[21]. Partant, étant donné que le nom des associés figure au registre du commerce, la mise en œuvre des recommandations du GAFI relatives à la transparence des personnes morales concerne dans une moindre mesure ce type de sociétés. Cela étant, il existe dorénavant – comme pour les sociétés anonymes – une obligation d’annoncer les ayants droit économiques à charge des associés lorsque le seuil de 25 % est atteint (voir supra 1.2). L’alinéa 2 de l’article 790a CO prévoit que les dispositions du droit de la société anonyme relatives à la liste des ayants droit économiques et aux conséquences du non-respect des obligations d’annoncer sont applicables par analogie aux sociétés à responsabilité limitée.

1.9  Sociétés coopératives

Les sociétés coopératives doivent désormais également tenir une liste des associés[22] et pouvoir être représentées par une personne domiciliée en Suisse[23].

1.10       Délai d’adaptation des statuts et règlement

Le droit transitoire prévoit que les sociétés disposent d’un délai de deux ans pour adapter leurs statuts et leurs règlements, soit jusqu’au 1er juillet 2017. Quant aux détenteurs d’actions au porteur au jour de l’entrée en vigueur du nouveau droit, ils disposent d’un délai de six mois, soit jusqu’au 31 décembre 2015, pour procéder aux annonces prévues en cas d’acquisition (voir supra 1.1 et 1.2). A relever encore que les détenteurs d’actions nominatives ou de parts sociales n’ont, quant à eux, pas d’obligation d’annonce pour les titres qu’ils détiennent au jour de l’entrée en vigueur du nouveau droit, y compris s’ils détiennent déjà plus de 25% du capital.

2.    Conséquences du non-respect des règles en vigueur

Le non-respect des obligations d’annoncer peut avoir des conséquences fâcheuses pour l’actionnaire. En effet, ce dernier perd la faculté d’exercer ses droits sociaux et patrimoniaux[24]. A relever qu’il appartient au conseil d’administration de contrôler qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits en violation de ses devoirs d’annoncer[25].

2.1  Déchéance des droits sociaux

Tant que l’actionnaire n’a pas satisfait à ses obligations d’annoncer, il ne peut exercer les droits sociaux liés aux actions[26]. Ainsi, seul un actionnaire ayant satisfait à ses devoirs d’annoncer peut participer aux assemblées générales.

Si un actionnaire ayant violé ses obligations d’annoncer exerce tout de même ses droits sociaux, se pose la question de l’annulabilité respectivement de la nullité de la décision prise par l’assemblée générale. A titre liminaire, il faut rappeler que l’annulabilité[27] est la règle et la nullité l’exception[28], eu égard notamment aux conséquences qui s’attachent à la nullité. L’article 706b CO prévoit que les décisions de l’assemblée générale sont nulles en particulier si elles suppriment ou limitent les droits des actionnaires impérativement garantis par la loi, restreignent les droits de contrôle des actionnaires davantage que ne le permet la loi, négligent les structures de base de la société anonyme ou portent atteinte aux dispositions de protection du capital. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a prononcé la nullité des décisions d’une réunion de tous les actionnaires à laquelle l’ensemble des actionnaires n’avaient pas participé ou n’avaient pas été représentés[29]. Ainsi, nous estimons que la sanction en cas de participation d’un actionnaire à une assemblée générale alors que ses droits sociaux auraient dû être supprimés pour cause de violation de ses devoirs d’annoncer est la nullité des décisions prises par l’assemblée. A relever toutefois que certaines circonstances pourraient faire échec à l’action en constatation de la nullité, notamment l’écoulement du temps, la protection des tiers de bonne foi, les problèmes pratiques associés à l’anéantissement rétroactif d’une décision[30] ou lorsque la participation de l’actionnaire n’a, en aucune manière, influencé les résultats du vote.

2.2  Cas extrême

Il se pourrait qu’aucun actionnaire ne remplisse ses obligations d’annoncer – par exemple, dans le cas d’une société détenue entièrement par une société offshore refusant ou ne connaissant pas ses ayants droit économiques. Dans ce cas, aucun actionnaire ne pourrait prendre part à l’assemblée générale. La société ne possédant alors plus tous les organes prescrits par la loi, un actionnaire, un créancier ou le préposé au registre du commerce pourrait requérir du juge qu’il prenne les mesures nécessaires, en particulier prononcer la dissolution de la société et ordonner sa liquidation[31].

2.3  Déchéance des droits patrimoniaux

L’actionnaire ne peut faire valoir les droits patrimoniaux liés aux actions que lorsqu’il a satisfait à ses devoirs d’annoncer[32]. Si l’annonce intervient dans le délai légal, soit 30 jours dès l’acquisition des actions, elle a un effet guérisseur (ex tunc). Par contre, à défaut d’annonce dans le délai imparti, lesdits droits s’éteignent[33]. Le texte légal et le message du Conseil fédéral ne précisent pas si les droits s’éteignent de manière ex tunc (soit rétroactivement au jour de l’acquisition des actions) ou de manière ex nunc (soit trente jours après l’acquisition des actions). Cependant et eu égard au but de la loi qui consiste à lutter contre le blanchiment d’argent, nous sommes d’avis qu’il faut interpréter la loi dans le sens que les droits patrimoniaux s’éteignent de manière ex tunc, soit au jour de leur acquisition. L’alinéa 3 de l’article 697m CO dispose que si l’actionnaire répare l’omission d’annoncer à une date ultérieure, il peut alors faire valoir les droits patrimoniaux qui naissent à compter de cette date (ex nunc), les droits antérieurs étant définitivement perdus.

Les mêmes conséquences s’appliquent lorsque la modification des informations concernant les personnes annoncées n’a pas été communiquée à la société. Des omissions par négligence ne portant que sur des modifications mineures ne devraient pas avoir pour conséquence la perte ou la suspension des droits des actionnaires si celles-là sont réparées dans un délai approprié[34].

Une partie de la doctrine semble estimer que la violation de la production de preuve de la détention des actions et de l’obligation d’identification[35] n’entraine pas la déchéance des droits de l’actionnaire. Nous ne partageons que partiellement cet avis. L’obligation de production de preuves concrétise l’obligation d’annoncer et permet d’atteindre le but visé par la loi, à savoir de permettre aux autorités d’avoir accès aux informations relatives aux détenteurs d’actions et aux personnes qui contrôlent en dernier lieu une personne morale[36]. Partant, le seul fait d’annoncer l’identité des personnes (l’actionnaire et, le cas échéant, l’ayant droit économique) sans la production des documents requis par la loi constitue une violation des obligations d’annoncer. Conformément au texte de la loi, la conséquence d’une telle violation est la déchéance des droits de l’actionnaire[37]. Ainsi, nous estimons que l’actionnaire n’est pas déchu de ses droits uniquement si le retard de production des pièces ne peut lui être imputable et qu’il met tout en œuvre pour rectifier la situation.

2.4  Conséquences du paiement d’un dividende à un actionnaire qui n’a pas satisfait à ses obligations d’annoncer

L’actionnaire qui n’a pas satisfait à ses obligations d’annoncer perd l’exercice de ses droits patrimoniaux (voir supra 2.3). Comme déjà mentionné, il appartient aux administrateurs de s’assurer qu’aucun actionnaire n’exerce ses droits en violation de ses obligations d’annoncer[38]. Ainsi, en cas de violation de ce devoir (par exemple, si la société verse des dividendes, tantièmes et autres parts de bénéfice à un actionnaire n’ayant pas satisfait à ses devoirs d’annoncer), les administrateurs pourraient devoir répondre du dommage causé à la société, respectivement aux autres actionnaires – si les autres conditions relatives à leur responsabilité sont réunies[39]. A relever également que l’art. 678 CO permet, selon nous, d’ouvrir une action en restitution contre l’actionnaire qui a touché indument de telles prestations[40]. En cas de versement du produit de liquidation de la société, l’action en enrichissement illégitime pourrait trouver application[41].

3.    Les obligations des sociétés cotées en bourse

3.1  Piqûre de rappel

Le présent article n’a pas pour vocation d’exposer de manière détaillée les obligations d’annoncer à charge des actionnaires des sociétés cotées en bourse. Cependant, il nous paraît intéressant de relever que la transparence de telles sociétés est – selon le message du Conseil fédérale – déjà assurée en vertu de l’obligation de déclarer certaines participations, soit à partir de 3 % des droits de vote[42]. Ces sociétés sont en outre soumises à l’obligation de publier certaines informations sur les actionnaires importants dans leur annexe au bilan[43]. Pour cette raison, le législateur a expressément exclu ces sociétés des nouvelles obligations d’annoncer prévues dans le code des obligations[44].

A relever toutefois que les obligations d’annoncer prévues dans la LIMF et le code des obligations ne sont pas identiques et ne visent pas le même but. En effet, les dispositions prévues par la LIMF ont pour vocation d’assurer la loyauté et la transparence des offres publiques d’acquisition ainsi que l’égalité de traitement des investisseurs[45]. La lutte contre le blanchiment d’argent est ainsi complètement étrangère à cette législation. Partant, seul le nom de la personne qui détient directement ou indirectement au moins 3 % des droits de vote de la société cotée[46] doit être annoncé. Il peut ainsi s’agir de personnes morales. Dès lors, les sociétés cotées n’ont pas connaissance des ayants droit économiques.

3.2  Situation des sociétés cotées en bourse dans le cadre de cette nouvelle législation

Etant donné que le droit actuel exclu les actionnaires de sociétés cotées des nouvelles obligations d’annoncer et que la LIFM n’oblige pas les actionnaires à communiquer l’identité des ayants droit économiques (voir supra 3.1), les sociétés cotées en bourse ne disposent pas de cette information. Dans le même temps, lorsqu’elles détiennent des sociétés non cotées – par exemple, une de leurs filiales -, le droit actuel ne prévoit pas d’exception à leur devoir d’annoncer leurs ayants droit économiques. A notre avis, il s’agit d’une lacune de la loi.

Une interprétation téléologique des nouvelles dispositions légales devrait conduire à exclure la société mère cotée en bourse de son devoir d’annoncer ses ayants droit économiques lors de l’acquisition d’une participation d’au moins 25 % du capital ou des droits de vote d’une société suisse non cotée[47]. A défaut, les sociétés cotées en bourse ne pourront plus constituer ou acquérir une participation dans une société suisse non cotée sans prendre le risque de perdre l’exercice de leurs droits patrimoniaux et sociaux attachés à cette participation.

4.    Conclusion

La nouvelle législation sur la transparence pose de nombreuses questions pratiques auxquelles les tribunaux seront très certainement amenés à donner des réponses ces prochaines années. En attendant, les administrateurs devront faire preuve de prudence afin d’éviter d’engager leur responsabilité civile. Du côté des actionnaires, le respect de leurs obligations d’annoncer est devenu un enjeu crucial afin d’éviter les sanctions lourdes prévues par le législateur suisse, soit la perte de l’exercice de leurs droits sociaux et patrimoniaux.

[1] Loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’actions financières, révisées en 2012, RO 2015 1389, FF 2014 585, cité ci-après « FF 2014 585 ».

[2] Art. 697i al. 1 de la loi fédérale complétant le Code civil Suisse (Livre cinquième : Droit des obligations) du 30 mars 1911, RS 220, cité ci-après « CO ».

[3] N. Fracincani/R. Sutter, TREX 2015, Obligations d’annoncer des actionnaires des sociétés anonymes privées – Vers un actionnaire « transparent » ?, page 221, 222, cité ci-après «N. Fracincani/R. Sutter, TREX 2015 ».

[4] L’actionnaire doit produit les actions originales ou produire une copie de celles-ci ; FF 2014 585, 638.

[5] Art. 697i al. 2 CO.

[6] Art. 697i al. 3 CO.

[7] N. Fracincani et R. Sutter semblent partager cette analyse ; TREX 2015, page 222.

[8] Les titres intermédiés sont les créances et les droits sociaux fongibles à l’encontre d’un émetteur qui sont inscrits au crédit d’un compte de titres et dont le titulaire du compte peut en disposer (art. 3 de la loi fédérale sur les titres intermédiés du 3 octobre 2008, RS 957.1, cité ci-aèrs « LTI »).

[9] ATF 130 III 417 consid. 3.4; ATF 117 II 429 consid. 3b.

[10] D. Guggenheim/A. Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 5e éd. 2014, p. 602 s. n. 1891; P. Tercier/P. G. Favre, Les contrats spéciaux, 4e éd. 2009, p. 829 s. n. 5469.

[11] Art. 697j CO.

[12] Ibid.

[13] FF 2014 585, 639.

[14] Ibid.

[15] Art. 2 al. 2 et 3 de la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme du 10 octobre 1997, RS 955.0, cité ci-après « LBA ».

[16] Art. 697k CO.

[17] Swiss Banking, Association suisse des banquiers.

[18] Art. 718 al. 4 CO.

[19] L’art. 627 ch. 7 CO a été abrogé.

[20] Art. 790 CO.

[21] Art. 791 al. 1 CO.

[22] Art. 837 CO.

[23] Art. 814 al. 3 CO.

[24] Art. 697m CO.

[25] Art. 697m al. 4 CO.

[26] Art. 697m al. 1 CO.

[27] Art. 706 CO.

[28] Art. 706b CO ; Meier-Hayoz/Fostmoser, Droit des sociétés, Berne 2015, 216a, cité ci-après « Meier-Hayoz/Fostmoser, Droit des sociétés » ; ATF 133 III 77.

[29] Ibid. ; ATF 137 III 460.

[30] Meier-Hayoz/Fostmoser, Droit des sociétés, 216.

[31] Art. 731b CO.

[32] Art. 697m CO.

[33] Art. 697m al. 3 CO.

[34] Voir notamment l’avis de N. Fracincani/R. Sutter, TREX 2015, page 224.

[35] Art. 697i al. 2 CO ; voir supra 1.5.

[36] FF 2014 585, 587.

[37] Art. 697m CO.

[38] Art. 697m al. 4 CO.

[39] Art. 754 CO.

[40] Dans ce cas, se pose également la question du remboursement de l’éventuel impôt anticipé versé à l’Administration fédérale des contributions relatif au dividende versé à tort et remboursé par l’actionnaire à la société. Nous sommes d’avis que si les conditions fixées aux articles 62ss CO sont remplies, la société serait en droit de demander un tel remboursement à l’autorité fiscale.

[41] Art. 62 CO.

[42] Art. 134 al. 1 de la loi fédérale sur les infrastructures des marchés financiers et le comportement sur le marché en matière de négociation de valeurs mobilières et de dérivés du 19 juin 2015, Loi sur l’infrastructure des marchés financiers, RS 958.1, cité ci-après « LIMF ».

[43] Art. 663c CO.

[44] Art. 697i et 697j CO.

[45] Art. 1 de l’Ordonnance de la Commission des OPA sur les offres publiques d’acquisition du 21 août 2008, Ordonnance sur les OPA, RS 954.195.1, cité ci-après « OOPA ».

[46] Art. 39 OOPA.

[47] N. Facincani/ R. Sutter, TREX 2015, page 223.