Mise en œuvre de l’initiative populaire « Contre l’immigration de masse » : quels changements à venir pour les employeurs ?

Les modalités de mise en œuvre de l’initiative populaire « Contre l’immigration de masse » acceptée par le peuple suisse et les cantons le 9 février 2014 sont désormais connues. Afin d’épuiser le potentiel qu’offre la main d’œuvre en Suisse, tout employeur qui souhaiterait pourvoir un poste de travail à compter du 1er juillet 2018 s’inscrivant dans une des catégories professionnelles affichant un taux de chômage au niveau suisse égal ou supérieur à 8% devra préalablement communiquer le poste vacant au service public de l’emploi de sa région.

Si cette obligation de communiquer ne semble a priori pas revêtir de difficultés particulières, elle engendre pourtant plusieurs questions pratiques. Décryptage.

I. Quelles catégories professionnelles visées ?

Les nouvelles dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juillet 2018 indiquent de manière générale que doivent être communiqués par les employeurs au service public de l’emploi de leur région les postes vacants dans des groupes de profession, domaines d’activités ou régions économiques qui enregistrent un taux de chômage supérieur à la moyenne[1].

Les ordonnances d’application ajoutent que l’obligation de communiquer les postes vacants s’appliquera dans les genres de professions dont les taux de chômage nationaux atteignent ou dépassent la valeur seuil de 8% (valeur qui sera abaissée à 5% dès le 1er janvier 2020). Elles mentionnent en outre que le calcul du taux de chômage se basera sur la statistique du marché du travail du SECO, étant précisé que le taux de chômage est calculé selon le quotient du nombre de chômeurs inscrits auprès des offices régionaux de placement par le nombre de personnes actives[2].

Difficile sur cette base pour un employeur de savoir s’il est soumis à l’obligation de communiquer son poste vacant ou non. C’est pourquoi le Conseil fédéral a approuvé, le 23 mai 2018, une liste des genres de professions soumis à cette obligation[3].

Or, une telle liste se base sur la nomenclature suisse des professions qui regroupe toutes les professions figurant dans la banque de données de l’Office fédéral de la statistique, laquelle a été élaborée en l’an 2000, soit il y a 18 ans à ce jour.

Dans ce contexte, il est à prévoir que cette nomenclature soit aujourd’hui devenue désuète, voire lacunaire, ce qui risque de rendre la tâche des employeurs difficile. Par exemple, une société suisse qui souhaiterait engager un business developer devra-t-elle au préalable communiquer le poste vacant ? un tel intitulé de poste ne semble pas répertorié dans la nomenclature suisse des professions. Devrait-il toutefois être inclus dans la catégorie de genre de professions « spécialistes en marketing » (code 52103 dans la nomenclature suisse des professions) dont le taux de chômage moyen annuel atteignait 10.1% en 2016[4] ? la réponse à donner ne s’impose pas d’elle-même.

Dans ces circonstances, un employeur prudent devrait probablement décider de communiquer le poste, et ce en dépit du fait qu’une telle initiative participerait à l’accroissement de la charge de travail du service de l’emploi.

II. Quel contenu de la communication ?

Les ordonnances d’application des nouvelles dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juillet 2018 indiquent que les employeurs soumis à l’obligation de communiquer les postes vacants au service de l’emploi compétent de leur région devront adresser à ce dernier les informations suivantes[5] :

  • le type de profession recherchée ;
  • l’activité à exercer (exigences spéciales comprises) ;
  • le lieu de l’exercice de la profession ;
  • le taux d’occupation ;
  • la date d’entrée en fonction ;
  • le type de rapport de travail : durée déterminée ou indéterminée ;
  • l’adresse ;
  • le nom de l’entreprise.

Ces informations devront être communiquées via la plateforme Internet du service public de l’emploi, par téléphone ou en personne[6].

Il est prévu que ces informations permettent au service de l’emploi d’identifier rapidement des demandeurs d’emploi disponibles pour le poste vacant.

Cela dit, l’obligation faite aux employeurs concernés de communiquer au service de l’emploi toutes les informations précitées peut s’avérer problématique. En effet, ce procédé contraint les employeurs concernés à fixer d’avance toutes les caractéristiques du poste vacant.

Ainsi, l’on pourrait se demander ce qu’il adviendrait dans le cas où, après avoir communiqué le poste vacant au service de l’emploi, l’employeur concerné déciderait finalement d’abaisser le taux d’occupation initialement décidé ou de repousser la date d’entrée en fonction. Devrait-il alors communiquer une nouvelle fois le poste vacant ? S’il ne le fait pas, se rendrait-il coupable de violation de son obligation de communiquer ce poste ? Un employeur prudent prendrait probablement le parti de communiquer une nouvelle fois le poste, quitte à accroître davantage la charge de travail du service de l’emploi.

III. Quel traitement de la communication ?

En vertu des ordonnances d’application des nouvelles dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juillet 2018, le service de l’emploi compétent devra confirmer aux employeurs concernés réception de leur communication[7]. Une telle confirmation devrait être donnée rapidement, si ce n’est immédiatement. Elle devrait de plus être précieusement conservée par l’employeur concerné en tant que preuve du respect de son obligation de communiquer.

Par ailleurs, dans les trois jours ouvrables à compter de la réception de la communication du poste vacant, le service public de l’emploi devra transmettre à l’employeur concerné les dossiers pertinents des demandeurs d’emploi inscrits ou l’informer qu’aucun demandeur d’emploi ne correspond aux exigences du poste vacant[8].

Il appartiendra donc au service public de l’emploi de déterminer si un dossier est pertinent ou non sur la base des critères exigés pour le poste vacant et du profil des demandeurs d’emploi inscrits.

Autrement dit, c’est au service public de l’emploi que reviendra la tâche de décider si un demandeur d’emploi serait susceptible de remplir les critères recherchés par l’employeur concerné sur la base notamment de sa profession apprise et/ou exercée ou encore, de son expérience professionnelle.

IV. Quelles suites données aux dossiers pertinents ?

Les nouvelles dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juillet 2018 indiquent qu’à réception des éventuels dossiers pertinents du service public de l’emploi, l’employeur concerné doit convoquer à un entretien ou un test d’aptitude professionnelle les candidats dont le profil correspond au poste vacant[9]. Ce devoir de convocation ne s’applique ainsi que pour le cas où un candidat correspond effectivement au profil recherché pour le poste vacant.

Déterminer si un demandeur d’emploi dont le dossier lui a été communiqué par le service public de l’emploi détient effectivement le profil recherché pour le poste vacant ou non requiert, du moins en partie, de procéder à une analyse subjective du dossier. Ainsi, l’employeur concerné bénéficie d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si un tel demandeur d’emploi détient effectivement le profil recherché pour le poste vacant ou non. Dans ce contexte, l’employeur concerné n’a pas l’obligation de convoquer automatiquement les demandeurs d’emploi dont le profil a été retenu par le service public de l’emploi.

L’employeur concerné n’a pas non plus l’obligation de justifier auprès du service public de l’emploi son choix de ne pas convoquer un demandeur d’emploi à un entretien ou un test d’aptitude professionnelle.

Cela dit, il aura toutefois l’obligation d’informer le service public de l’emploi des suites données aux dossiers pertinents qui lui auront été transmis. En particulier, il devra communiquer au service de l’emploi les détails suivants[10] :

  • identité des personnes qu’il considère comme étant appropriées pour le poste vacant et identité des personnes qu’il a invitées à passer un entretien d’embauche ou un test d’aptitude professionnelle ;
  • s’il a embauché un candidat lui ayant été proposé ; et
  • si le poste vacant reste à pourvoir.

V. Quelles exceptions à la communication ?

Dans certaines situations très spécifiques, les employeurs ne devront pas communiquer au service public de l’emploi de leur région les postes vacants dans des groupes de profession, domaines d’activités ou régions économiques qui enregistrent un taux de chômage supérieur à la moyenne.

Tel sera le cas[11] :

  • si le poste vacant est pourvu par une personne inscrite auprès du service public de l’emploi comme demandeur d’emploi ;
  • si le poste vacant est pourvu par une personne déjà employée par l’employeur depuis au moins six mois, ce qui concerne aussi les apprentis embauchés à la suite de leur apprentissage. Cette exception ne s’applique toutefois pas aux bailleurs de services ;
  • si la durée des rapports de travail ne dépasse pas 14 jours ;
  • si la personne engagée est le conjoint ou le partenaire enregistré du propriétaire ou est parente ou alliée en ligne directe ou jusqu’au deuxième degré en ligne collatérale, étant précisé que les demi-frères et demi-sœurs sont assimilés aux frères et sœurs.

Pourrait ici se poser la question de savoir si la première exception précitée s’applique dès que la personne à engager est inscrite au service public de l’emploi comme demandeur d’emploi ou si une telle inscription doit avoir été faite depuis un certain temps (qu’il conviendrait, cas échéant, de clarifier).

Dans la première hypothèse, l’on pourrait envisager qu’il suffirait à un employeur désireux de s’économiser la communication du poste vacant au service public de l’emploi compétent de demander à son futur employé de s’inscrire auprès de ce service juste avant qu’il ne procède à l’embauche. Un tel procédé devrait probablement être reconnu comme constitutif d’un abus de droit.

VI. Quelles sanctions en cas de violation des obligations relatives à la communication des postes vacants ?

Les nouvelles dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juillet 2018 prévoient que quiconque viole intentionnellement l’obligation de communiquer les postes vacants ou l’obligation de mener un entretien ou un test d’aptitude professionnelle sera puni d’une amende de CHF 40’000.- au plus[12].

En outre, si l’auteur agit par négligence, il sera puni d’une amende de CHF 20’000.- au plus[13].

Qu’elle soit effectuée volontairement ou par négligence, l’on constate ainsi que la violation de l’obligation de communiquer le poste vacant est sanctionnée.

Ainsi, l’employeur qui douterait de sa soumission à une telle obligation serait avisé de communiquer le poste, et ce en dépit du fait qu’une telle décision participerait là-encore à l’accroissement de la charge de travail du service de l’emploi compétent.

VII. Conclusion

Les modalités de mise en œuvre de l’initiative populaire « Contre l’immigration de masse » soulèvent plusieurs questions auxquelles les nouvelles dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juillet 2018 ne semblent pas répondre complètement.

Dans ces circonstances, il apparaît que cette absence de réponses claires, additionnée d’une sanction prononçable en cas de comportement fautif volontaire ou négligent de l’employeur, poussera ce dernier à communiquer les postes vacants au service de l’emploi compétent, favorisant dans le même temps un accroissement de la charge de travail de ce dernier.

Il est à espérer que la pratique lèvera rapidement le voile d’incertitudes qui flotte pour l’heure sur les dispositions légales à appliquer dès le 1er juillet prochain.

[1] Art. 21a al. 3 p-LEtr

[2] Art. 63 p-OSE et art. 53a p-OSE

[3] Liste qui constituera une annexe à l’OSE

[4] En tenant compte de la statistique du marché du travail du SECO pour l’année 2016

[5] Art. 53b al. 2 p-OSE

[6] Art. 53b al. 3 p-OSE

[7] Art. 53b al. 4 p-OSE

[8] Art. 21a al. 4 p-LEtr et art. 53c al. 1 p-OSE

[9] Art. 21a al. 4 p-LEtr

[10] Art. 53c al. 2 p-OSE

[11] Art. 21a al. 5 et 6 p-LEtr et art. 53d p-OSE

[12] Art. 117a al. 1 p-LEtr

[13] Art. 117a al. 2 p-LEtr