Une autorisation de séjour (permis B) peut-elle être prolongée sur la base d’un droit de visite ?

Le présent article a été rédigé par Me Laure BAUMANN, avocate spécialisée en droit de l’immigration. N’hésitez pas à prendre contact avec elle en cas de questions.

Dans son arrêt 2C_821/2016 du 2 février 2018 (proposé pour la publication), le Tribunal fédéral clarifie les conditions auxquelles une autorisation de séjour (permis B) peut être prolongée, sous l’angle de l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après : la « CEDH »), lorsqu’un ressortissant d’Etat tiers bénéficie d’un droit de visite sur un enfant mineur disposant d’un droit durable de résider en Suisse.

I. Faits

A., ressortissant algérien, épouse, le 13 juillet 2009, Y., ressortissante française au bénéfice d’une autorisation d’établissement (permis C). Dans ce contexte, A. se voit octroyer une autorisation de séjour (permis B) renouvelable annuellement.

Dans le courant de l’année 2009, Y. donne naissance à B., le fils du couple.

Deux ans plus tard, le couple ne s’entend plus et est autorisé à vivre séparé par mesures protectrices de l’union conjugale du 12 mai 2011. La garde de B. est alors octroyée à Y.. A. bénéficie quant à lui d’un droit de visite large sur son fils et doit verser une pension d’entretien à Y. de CHF 600.- par mois, dès le 1er juin 2011.

Plusieurs audiences se sont par la suite tenues s’agissant des mesures protectrices relatives au droit de visite et, lors de la dernière audience qui s’est tenue le 15 janvier 2015, la prise en charge de B. par son père A. a définitivement été fixée du jeudi, à la sortie de la garderie, au lundi, à la reprise de l’école, et les autres semaines, du jeudi à la sortie de la garderie, au vendredi, à la sortie de la garderie.

S’agissant de l’obligation faite à A. de verser une pension d’entretien, elle a finalement été supprimée, A. ne l’ayant plus payée depuis le mois d’août 2011. Cette attitude a d’ailleurs valu à A. de se voir condamné, par ordonnance pénale du 26 mars 2014, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende, avec sursis pendant deux ans, pour violation d’une obligation d’entretien. L’autorisation de séjour (permis B) de A. a fait l’objet d’un renouvellement jusqu’au 12 juillet 2012. Le 23 juillet 2014, le Service de la population du canton de Vaud (ci-après : le « SPOP ») a indiqué être disposé à renouveler cette autorisation de séjour, sous réserve de l’approbation du Secrétariat d’Etat aux migrations (ci-après : le « SEM »).

Le 17 décembre 2014, le SEM a refusé d’approuver la prolongation de l’autorisation de séjour (permis B) de A. et a prononcé son renvoi de Suisse.

A. a recouru contre ce refus auprès du Tribunal administratif fédéral en date du 16 janvier 2015.

Par arrêt du 28 juillet 2016, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours déposé par A..

A., ainsi que B. agissant par son père A., agissent alors par la voie du recours en matière de droit public et demandent au Tribunal fédéral d’annuler l’arrêt rendu par le Tribunal administratif fédéral le 28 juillet 2016 et d’approuver la prolongation de l’autorisation de séjour (permis B) de A.. Dans ce contexte, ils allèguent principalement une violation de l’art. 8 CEDH qui réserve un droit au respect de la vie privée et familiale.

II. Considérant en droit

Le Tribunal fédéral constate dans un premier temps que les effets de l’art. 8 CEDH sur le droit des étrangers en présence d’un droit de visite sur un enfant mineur n’ont été analysés que dans d’anciennes jurisprudences, notamment l’arrêt de la CourEDH du 21 juin 1988 en la cause Berrehab c. Pays-Bas et l’ATF 115 Ib 97 du 6 juillet 1989. Notre Haute Cour estime ainsi qu’il est aujourd’hui nécessaire de rappeler les principes applicables en la matière et d’y apporter précisions et éclaircissements.

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral commence tout d’abord par rappeler les principes jurisprudentiels relatifs à la place de l’art. 8 CEDH en droit des étrangers. Il relève en particulier (i) que l’art. 8 CEDH prime toute éventuelle disposition contraire de la Loi fédérale sur les étrangers (ci-après : la « LEtr »), et ce nonobstant le fait que la LEtr soit entrée en vigueur après la CEDH. Notre Haute Cour relève en outre (ii) que l’art. 8 CEDH ne confère en principe pas un droit à séjourner dans un Etat déterminé. Cela dit, refuser un droit de séjour à un étranger dont la famille se trouve en Suisse est susceptible d’entraver sa vie familiale et, partant, de porter atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH. Tel est le cas si le départ de Suisse du membre de la famille qui bénéficie d’un droit de présence sur notre territoire ne peut d’emblée être exigé sans autres difficultés et qu’une analyse de la pesée des intérêts mène à considérer que l’intérêt privé à la prolongation de l’autorisation de séjour (permis B) du ressortissant étranger prime l’intérêt public à son refus.

Le Tribunal fédéral analyse ensuite les principes jurisprudentiels retenus à ce jour s’agissant du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH en lien avec l’existence d’un droit de visite sur un enfant mineur disposant d’un droit durable de résider en Suisse. A ce propos, il relève que ce droit à la vie privée et familiale est en principe respecté lorsque le parent étranger peut exercer son droit de visite dans le cadre de brefs séjours en Suisse. Ainsi, dans un tel cas, le refus de prolonger l’autorisation de séjour (permis B) de ce parent étranger n’est en principe pas de nature à porter atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH.

Toutefois, le Tribunal fédéral précise qu’il est des cas où le refus d’une prolongation d’autorisation de séjour (permis B) en faveur d’un parent étranger au bénéfice d’un droit de visite sur un enfant mineur disposant d’un droit durable de résider en Suisse peut porter atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH. De tels cas peuvent être admis aux conditions suivantes :

1. Il existe entre le parent étranger et l’enfant des relations étroites et effectives d’un point de vue affectif ;
2. Il existe entre le parent étranger et l’enfant des relations étroites et effectives d’un point de vue économique ;
3. Il existe une impossibilité pratique à maintenir la relation en raison de la distance qui sépare le pays de résidence de l’enfant du pays d’origine de son parent étranger ; et
4. Le parent étranger a un comportement irréprochable.

Ces conditions ne sont pas cumulatives, elles doivent faire l’objet d’une pesée des intérêts globale.

En outre, en cas d’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH, il convient d’analyser la proportionnalité qui doit également tenir compte de l’intérêt fondamental de l’enfant à pouvoir grandir en jouissant d’un contact étroit avec ses deux parents.

S’agissant de la condition du lien affectif (cf. première condition précitée), le Tribunal fédéral indique qu’elle implique l’existence effective de liens familiaux particulièrement forts d’un point de vue affectif exercés dans le cadre d’un droit de visite usuel selon les standards actuels (en Suisse romande, un week-end toutes les deux semaines et moitié des vacances). La simple existence d’une décision judiciaire ou d’une convention entre parents se répartissant l’autorité parentale et la garde de l’enfant ne suffit pas à établir l’existence d’un tel lien affectif.

S’agissant de la condition du lien économique (cf. deuxième condition précitée), le Tribunal fédéral indique qu’elle implique que le parent étranger contribue à l’entretien de son enfant, en principe en lui versant des prestations financières dans la mesure décidée par les instances judiciaires civiles. La contribution à l’entretien peut également avoir lieu en nature, en particulier en cas de garde alternée. Pour le cas où le parent étranger ne contribue pas à l’entretien de son enfant, notre Haute Cour retient qu’il faut alors analyser les raisons de cette absence de contribution. L’on doit ainsi distinguer le parent étranger qui ne contribue pas à l’entretien de son enfant faute d’avoir été autorisé à travailler de celui qui ne fait aucun effort pour trouver un emploi.

S’agissant de la condition de l’impossibilité à maintenir une relation en raison de la distance (cf. troisième condition précitée), le Tribunal fédéral indique qu’elle doit être analysée concrètement en tenant compte notamment de l’âge des intéressés, des moyens financiers, des techniques de communication, des types de transports à disposition ainsi que de la distance entre les lieux de résidences. Il ajoute qu’une impossibilité pratique à maintenir la relation sera tenue pour réalisée si le pays de l’étranger qui bénéficie d’un droit de visite est très éloigné de la Suisse, citant comme exemple le Mexique.

S’agissant de la condition du comportement irréprochable (cf. quatrième condition précitée), le Tribunal fédéral indique qu’elle implique une absence de motifs d’éloignement, en particulier une absence de comportement répréhensible sur le plan pénal ou au regard de la législation sur les étrangers. Cette condition peut toutefois être relativisée dans certaines situations spécifiques. Il peut notamment en aller ainsi en présence d’une atteinte de peu d’importance à l’ordre public et d’un lien affectif et économique particulièrement fort avec l’enfant.

Passant à l’analyse du cas d’espèce, le Tribunal fédéral retient tout d’abord que A. bénéfice, depuis le 15 janvier 2015, d’un large droit de visite sur son fils B. fixé du jeudi, à la sortie de la garderie, au lundi, à la reprise de l’école, et les autres semaines, du jeudi à la sortie de la garderie, au vendredi, à la sortie de la garderie. Ainsi, il existe un indice fort de l’existence d’un lien affectif étroit de A. avec son fils B..

Le Tribunal fédéral retient de plus que le large droit de visite dont bénéficie A. serait équivalent à une garde alternée impliquant une prise en charge en nature de l’enfant B., de sorte que, d’une certaine manière, A. entretient des relations économiques avec B..

S’agissant de la distance entre l’Algérie dont A. est ressortissant et la Suisse, notre Haute Cour relève simplement qu’elle permet de penser « prima facie » que l’exercice du droit de visite de A. depuis l’étranger constitue une hypothèse « plutôt » théorique.
Concernant le comportement de A., le Tribunal fédéral conçoit qu’il n’a « a priori » pas été irréprochable puisqu’il a été condamné, par ordonnance pénale du 26 mars 2014, à une peine pécuniaire de 40 jours-amende, avec sursis pendant deux ans, pour violation d’une obligation d’entretien.
Procédant ensuite à une pesée des intérêts globale de ces conditions, le Tribunal fédéral retient que les relations étroites et effectives d’un point de vue affectif et économique entre A. et son fils B. revêtent un poids prépondérant sur les deux autres conditions applicables. Ainsi, refuser de prolonger l’autorisation de séjour (permis B) de A. porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH.

S’agissant de la proportionnalité, le Tribunal fédéral retient que la condamnation pénale de A. pour violation de son obligation d’entretien ne suffit pas à rendre l’atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale proportionnée. L’analyse de la proportionnalité doit ainsi s’effectuer en prenant en compte la situation globale de A. au moment de sa condamnation, le temps écoulé depuis cette dernière ainsi que l’intensification des relations économiques entre A. et B., en particulier en nature.

Le Tribunal fédéral estime ainsi qu’en jugeant, sous l’angle de l’art. 8 CEDH, que les relations entre A. et son fils B. ne permettaient pas à A. de voir son autorisation de séjour (permis B) renouvelée, le Tribunal administratif fédéral a violé le droit fédéral. Partant, la cause lui est renvoyée pour nouvelle instruction au sens des considérants.

III. Commentaire

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral renforce à notre sens le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’art. 8 CEDH des ressortissants d’Etat tiers au bénéfice d’un droit de visite sur un enfant mineur disposant d’un droit durable de résider en Suisse.

Notre Haute Cour reconnait en effet que le parent étranger peut contribuer à l’entretien de son enfant même en l’absence de versement de pensions à cette fin, la contribution à l’entretien pouvant avoir lieu en nature. Une relation étroite et effective d’un point de vue économique peut donc exister entre le parent étranger et son enfant nonobstant l’absence de versement de prestations financières.

Notre Haute Cour reconnait en outre qu’une infraction pénale ne suffit pas à douter du comportement irréprochable du parent étranger. La gravité d’une telle infraction doit être analysée en tenant compte des circonstances au moment de sa réalisation et de l’évolution du comportement du parent étranger. Ce dernier bénéficie ainsi d’une possibilité de corriger son attitude en sa faveur.

Le Tribunal fédéral n’a toutefois pas profité de cet arrêt pour approfondir davantage la notion d’« impossibilité pratique » pour le parent étranger à maintenir une relation avec son enfant en raison de la distance qui sépare la Suisse de son pays d’origine, ce que nous regrettons. A ce propos, notre Haute Cour semble en effet se contenter de laisser entendre qu’une telle impossibilité ne pourrait être retenue que si le pays du parent étranger est « très éloigné » de la Suisse.

Nous ne souscrivons pas à ce point de vue. Nous sommes en effet d’avis que le simple fait de devoir user d’un nouveau moyen de transport pour maintenir une relation avec son enfant, que le voyage soit court ou long, constitue déjà en soit une « impossibilité pratique » au vu des difficultés occasionnées, que ce soit d’un point de vue organisationnel ou encore financier. Par ailleurs, retenir que seuls des parents étrangers ressortissants de pays « très éloignés » de la Suisse se trouveraient en présence d’une « impossibilité pratique » à maintenir une relation avec leur enfant serait à nos yeux de nature à constituer une discrimination à raison de la nationalité. En effet, adopter ce point de vue signifierait que les ressortissants de pays « très éloignés » de la Suisse pourraient voir leur autorisation de séjour (permis B) renouvelée bien plus aisément que les ressortissants des autres pays, la troisième condition à analyser pour ce faire devenant systématiquement remplie dans leur cas.

Pour ces raisons, la condition de l’impossibilité pratique en raison de la distance propre à fonder une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du parent étranger garanti par l’art. 8 CEDH devrait à notre sens être fortement relativisée, voire abolie.